ASAP TT c/ NGI CONSULTING RG 2024065677 – ordonnance de référé du 20 décembre 2024
Mots-clés :
MESURES D’INSTRUCTION / En référé
Sommaire :
Mesures in futurum - Ordonnance sur requête ordonnant, avant leur restitution, la copie de pièces séquestrées chez le commissaire de justice, dont la restitution au requis avait été ordonnée par un arrêt de la cour d’appel frappé d’un pourvoi – Exemple d’une situation justifiant une telle décision prise pour assurer l’effectivité du pourvoi en cassation dans le respect du droit à un procès équitable et à la conservation des preuves jusqu’à une décision de justice irrévocable.
Une première ordonnance au visa de l’article 145 CPC, sur requête de NGI CONSULTING, autorisant une mesure in futurum chez ASAP TT, est exécutée puis annulée par la cour d’appel de Paris qui ordonne la restitution des éléments placés sous séquestre par un arrêt frappé d’un pourvoi. Une deuxième ordonnance, sur requête de NGI CONSULTING, qui a fait valoir le très fort risque de destruction définitive des pièces par ASAP TT, désigne un autre commissaire de justice pour réaliser une copie de ces éléments chez son confrère et constituer un nouveau séquestre avec cette copie. Ce deuxième officier public et ministériel désigné a pu réaliser ces copies avant que le premier n’ait dû restituer les pièces, la signification de l’arrêt de la cour, à laquelle la restitution est subordonnée, n’ayant pas encore eu lieu. La rétractation de cette deuxième ordonnance est demandée par ASAP TT.
Le juge de la rétractation a examiné les moyens des parties et les raisons qui ont conduit le juge des requêtes à prononcer l’ordonnance.
- Sur le respect du contradictoire
- ASAP TT soutient que rien ne justifiait le non-respect du contradictoire, tandis que NGI CONSULTING évoque le très fort risque de destruction définitive de pièces indispensables à sa future action au fond, ses craintes ayant été confortées par la demande de destruction des pièces saisies formulée par ASAP TT au commissaire de justice qui les détenait.
- Le juge des requêtes a relevé que, s’il n’est pas interdit à la partie qui a requis la mesure de tenter de faire obstacle à la restitution des pièces par une ordonnance en référé dans le respect du contradictoire, les délais d’une telle procédure la priveraient en pratique de toute efficacité au regard du risque très élevé de destruction des pièces et en a conclu que le requérant n’avait d’autre possibilité que d’agir, comme il l’a fait, sur requête au visa de l’article 875 CPC afin d’obtenir une décision immédiate, l’immédiateté étant la condition de son efficacité.
- Le juge de la rétractation retient que les délais d’une procédure contradictoire auraient retiré toute efficacité à la mesure sollicitée en permettant la destruction des pièces saisies et constituent la circonstance visée par l’article 875 CPC et retenue par l’ordonnance permettant de déroger au principe de la contradiction.
- Sur l’autorité de la chose jugée
- Pour ASAP TT, l’arrêt de la cour qui a ordonné la restitution est exécutoire nonobstant le pourvoi, l’annulation de l’ordonnance initiale ayant fait perdre tout fondement à la mesure d’instruction, la demande de mise sous séquestre des copies des pièces saisies est elle-même dépourvue de fondement,
- Pour NGI CONSULTING, il n’y a aucune atteinte à l’autorité de la chose jugée puisque l’arrêt de la Cour a été intégralement exécuté par la restitution des pièces et qu’il est muet sur leur destruction,
- Le juge de la rétractation retient à la fois que l’ordonnance querellée n’est pas en contradiction avec l’arrêt d’appel puisqu’elle permet d’éviter une destruction des pièces qui n’avait pas été ordonnée mais que, néanmoins, elle se heurte formellement à cette décision en ce que la cour d’appel a ordonné la restitution des copies sans exclusive et que la constitution d’un nouveau séquestre avec une copie des pièces entre en contradiction avec cette disposition de l’arrêt.
- Sur le séquestre, la motivation du juge des requêtes et la rétractation
- Pour le juge des requêtes,
- NGI CONSULTING est légitime, en considération d’une éventuelle cassation de l’arrêt de la cour, à vouloir préserver son droit à recours effectif et sauvegarder ses intérêts en veillant à ne pas être privée de la possibilité d’accéder ultérieurement aux éléments appréhendés, menacés de destruction, avant même qu’il ait pu être statué par une décision de justice irrévocable sur les mesures d’instruction ordonnées,
- Sa demande est justifiée au regard de l’existence d’un dommage présentant un caractère certain et imminent dont la probabilité est aujourd’hui renforcée, à savoir la destruction des pièces saisies,
- Dès lors, le juge doit user des pouvoirs que lui donne la loi (article 875 CPC) pour prendre toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement, en ordonnant la mesure conservatoire la plus appropriée au but poursuivi afin de préserver les intérêts contradictoires en présence, proportionnée en ce qu’elle ne porte aucun grief à la demanderesse à la rétractation et reste strictement nécessaire à la préservation des intérêts en présence, tout en assurant un retour au statu quo ante en cas de succès du recours en cassation,
- Le juge de la rétractation estime que la situation quant à l’autorité de la chose jugée reste ambigüe, que, si l’ordonnance attaquée se heurte formellement à l’autorité de la chose jugée en ce que la cour d’appel avait ordonné la restitution des pièces, elle a aussi au contraire pour effet de protéger cette autorité en empêchant la destruction des pièces que la cour n’a pas voulu ordonner et qui, sans l’ordonnance, se serait produite,
- Il lui apparaît à ce stade que doivent être mis en balance le principe ambigu de la chose jugée et le droit à la preuve nécessaire à un procès équitable, garanti par l’article 6 §1 de la Convention des droits de l’homme et que la balance des intérêts doit conduire à une non-rétractation de l’ordonnance,
- En définitive le juge de la rétractation retient que l’articulation des lois qui régissent le présent litige pourrait aboutir, en cas de rétractation de l’ordonnance, à la solution inique de l’impossibilité d’user d’un droit essentiel au procès équitable, permis par l’article 145 CPC, alors même que la Cour de cassation rétablirait définitivement l’exercice de ce droit en rétablissant l’ordonnance ayant permis son exercice, et que cette situation autorise le juge à rechercher par voie d’interprétation la véritable intention du législateur,
- En conclusion, il déboute la demanderesse de sa demande de rétractation.
- Pour le juge des requêtes,