SARL CASTING AUTOMOBILES c/ SARL EXPERTS ENTREPRENDRE AUDIT & AXA RG J2025000039 - jugement du 29 janvier 2025 9ème chambre
Mots-clés :
CONTRATS ET OBLIGATIONS / Obligation de moyens ou de résultat
IRRECEVABILITE / Prescription et forclusion
Sommaire :
Prescription et forclusion d’une action contre un expert-comptable à la suite d’un contentieux fiscal – Obligation de moyens de l’expert-comptable sauf faute grave de ce dernier – Préjudice indemnisable pour un redressement fiscal partiellement évitable en l’absence de la faute de l’expert-comptable.
CASTING AUTOMOBILES, ci-après CA, est spécialisée dans l’achat-location-revente de véhicules d’occasion ou de collection acquis auprès de particuliers ou de professionnels. La SARL EXPERTS ENTREPRENDRE AUDIT, ci-après Audit, assure depuis 2002 une mission globale de tenue de la comptabilité et de déclarations fiscales.
A l’issue d’une vérification fiscale pour les exercices 2013 à 2015, CA a reçu une notification de redressement pour deux raisons : d’une part pour non-respect de la méthode dite « globale » pour le calcul de la TVA sur marge, entraînant l’exclusion du bénéfice de ladite méthode, et d’autre part pour absence de déclaration de la taxe sur les objets de collection au titre des achats-reventes des véhicules, ce qui s’est traduit non seulement par l’obligation de payer cette taxe mais de surcroît des pénalités.
La contestation des redressements a été rejetée par l’administration fiscale en 2018 puis successivement par le tribunal administratif en 2020 et la cour administrative d’appel en 2022.
CA avait saisi ce tribunal le 9 octobre 2020 afin de voir condamner Audit à l’indemniser du montant des redressements au titre de la TVA et du montant de la taxe sur les objets de collection.
Audit soutient que CA est forclose et qu’en tout cas son action est prescrite. En outre, Audit fait valoir qu’elle n’a pas commis de faute et, subsidiairement, que le seul préjudice indemnisable est la perte de chance de ne pas avoir à subir de pénalités puisqu’en toute hypothèse la taxe sur les véhicules de collection était due.
- Sur la recevabilité :
Audit fait valoir que le contrat stipulait « toute demande d’indemnisation ne pourra être produite que pendant la période de prescription légale ; elle devra être introduite dans les TROIS MOIS suivant la date de connaissance du sinistre. ». Elle en déduit que CA, ayant eu connaissance au plus tard le 29 décembre 2017 des avis de mise en recouvrement des redressements, CA est forclose puisque son assignation date du 9 octobre 2020.
Le tribunal rappelle qu’il est constant qu’en matière fiscale le point de départ, tant de la forclusion que de la prescription, se situe à l’issue de la procédure devant les juridictions administratives, car c’est à ce moment-là seulement que le client connaît avec certitude la réalité du dommage qu’il est susceptible d’imputer au manquement de son expert-comptable.
Le tribunal relève que la décision de la cour administrative d’appel est du 30 mars 2022, point de départ à la fois de la prescription et de la forclusion, et qu’en conséquence, l’assignation de CA ayant été signifiée en 2020, donc antérieurement à l’arrêt de la cour, son action n’était ni forclose ni prescrite.
En conséquence le tribunal dit CA recevable.
- Sur les fautes graves ayant entraîné deux redressements fiscaux :
Le tribunal rappelle que l’obligation de moyens de l’expert-comptable ne se limite pas à la seule mise en forme des documents comptables fournis par le client mais lui impose, dans le cadre de sa mission générale de tenue de la comptabilité, une obligation de conseil, notamment au regard des obligations fiscales du client, et une obligation contractuelle de connaissance de l’entreprise.
Le tribunal ajoute que, pour s’exonérer de sa responsabilité, l’expert-comptable doit prouver qu’il a fait toutes les diligences qui lui incombent et qu’il ne peut se retrancher derrière les erreurs de son client ou prétendre avoir ignoré telle ou telle activité de l’entreprise : « il n’est pas un simple exécutant et sa transcription des données doit être réfléchie ».
Le tribunal précise que la faute de l’expert-comptable peut être retenue lorsque le non-respect des obligations déclaratives a empêché son client de bénéficier d’une imposition réduite (en l’espèce le bénéfice du calcul de la TVA sur la marge) ou/et lorsque le client fait l’objet d’un redressement pour le non-paiement d’un impôt spécifique (en l’espèce la taxe sur les ventes d’objets de collection), du fait de l’omission d’une déclaration.
- Sur le préjudice indemnisable
Le tribunal dit que le redressement, ayant résulté de la perte du bénéfice d’un régime de faveur, constitue un préjudice indemnisable ; en effet, si Audit avait respecté les règles édictées par l’Administration, CA aurait pu bénéficier d’un régime plus favorable.
En conséquence, le tribunal condamne Audit à payer à CA des dommages et intérêts égaux au montant du redressement.
Par contre, le tribunal dit que le redressement, relatif à l’omission de déclaration de la taxe sur les objets de collection, ne constitue pas un préjudice indemnisable puisqu’il s’agit d’une taxe que CA aurait dû payer ; mais il ajoute que, si Audit avait satisfait à son obligation de conseil, CA n’aurait pas eu un redressement ayant entraîné des pénalités.
En conséquence, le tribunal condamne Audit à payer à CA des dommages et intérêts égaux au montant des seules pénalités.