SARL V c/ SARL PERENNITY RG 2022039890 – jugement du 22.09.2022
Mots-clés :
IRRECEVABILITE / Prescription et forclusion
Sommaire :
Point de départ de la prescription d’une action à l’encontre d’un conseil en gestion de patrimoine en cas de perte de son investissement.
M. X, le dirigeant de la SARL V, a demandé à PERENNITY, conseil en gestion de patrimoine, ci-après le CGP, de lui proposer un placement de la trésorerie de sa société dans des parts d’hôtels.
Le 3 décembre 2015, la société V a alors investi dans des parts de sociétés exploitant un hôtel du groupe Maranatha, ci-après M, moyennant une option d’achat donnée par la société M, qui lui garantissait une rentabilité de l’ordre de 8 %.
Le 27 septembre 2017, M a fait l’objet d’un redressement judiciaire, puis en 2021 d’une liquidation : il a alors été jugé que le dirigeant de M avait détourné les fonds des investisseurs, ce qui a conduit en 2022 à son inculpation pour escroquerie.
La société V a alors assigné le 12 août 2022 le CGP pour avoir manqué à ses obligations d’information. Ce dernier lui a opposé l’irrecevabilité de son action en raison de la prescription.
Le CGP fait valoir qu’une jurisprudence établie considère que le dommage, pouvant avoir résulté d’un manquement à l’obligation de conseil pesant sur lui, se manifeste au jour de la conclusion du contrat qui est à l’origine de l’action en responsabilité.
Mais la société V réplique qu’il existe une exception à cette jurisprudence lorsque le dommage n’est pas évident ou apparent, notamment lorsqu’il a été dissimulé.
Le tribunal rappelle que le dommage résultant d’un défaut de conseil du CGP consiste, non en la perte éventuelle du capital, mais dans la perte de chance de ne pas contracter ou de n’avoir pu le faire à des conditions plus avantageuses ; il en déduit que le point de départ du délai de prescription d’une action en responsabilité pour défaut de conseil est soit à compter de la souscription sur le fondement de l’article 2224 du code civil, soit à compter du jour où la victime a eu connaissance du dommage si elle apporte la preuve que, au moment de la souscription du produit, elle n’avait pas connaissance de ce dommage et pouvait légitimement l’ignorer.
Le tribunal constate que le détournement des fonds de nombreux investisseurs dans le groupe M a donné lieu à une abondante jurisprudence qui a retenu, comme date de départ de la prescription, dans certains cas la date de souscription et, dans d’autres cas la date d’ouverture de la procédure collective.
La société V fait valoir qu’elle était légitimement fondée à ignorer, au moment de la souscription, le dommage pour 2 raisons :
- le produit était d’une grande complexité et présentait des risques anormaux,
- CGP ne l’a pas informée de l’existence d’un risque de perte du capital.
C’est chacun de ces deux points que le tribunal a dû examiner successivement.
- Sur la complexité des produits souscrits et des risques anormaux
Le tribunal relève que c’est M. X qui avait demandé au CGP de lui trouver ce type de produit parce qu’il cherchait à placer sa trésorerie à un taux très supérieur à ceux des produits de trésorerie normaux du marché, tout en ayant la possibilité d’une cession des titres à tout moment. Or, M. X ne pouvait pas ignorer que, le supplément de rendement par rapport au taux du marché monétaire pour un placement disponible à tout moment étant obtenu par l’option de rachat de ses parts par M, il encourait nécessairement un risque de contrepartie manifeste en cas d’insolvabilité de M, risque inhérent à ce type de produit usuel sur le marché.
En conséquence, le tribunal ne retient donc pas ce grief de la complexité et dangerosité anormale du produit litigieux. - Sur la dissimulation alléguée du risque de perte en capital par le CGP
Le tribunal relève tout d’abord que, du fait de sa position d’associé gérant de la société V, M. X est une « personne avertie », au sens du code monétaire et financier, ayant la compétence nécessaire et suffisante pour apprécier le risque de ce type de produit financier. Il constate que c’est M. X qui a demandé au CGP de lui trouver ce type de produit et qu’il a rencontré personnellement, comme il le demandait, le dirigeant de M, avec qui il a négocié directement, obtenant même des aménagements par rapport au contrat type.
Le tribunal déduit de ce qui précède que, au regard des circonstances précontractuelles dans lesquelles les produits litigieux ont été souscrits, le CGP n’a commis aucune dissimulation et la société V « ne rapporte pas la preuve d’avoir, à la souscription des produits financiers litigieux, ignoré ou pu légitimement (ignorer) la perte de chance alléguée ».
C’est pourquoi le tribunal dira prescrite l’action engagée par la société V contre le CGP.