SPRL PROJET PILOTE GAROUBE et M. X. c/ SAS IVO CAPITAL PARTNERS, IVO GLOBAL INSURANCE LITIGATION FUNDS IV SCS.et CFS 37 FUNDING LP RG 2023007860 - jugement du 13/02/2025 - chambre 1-8 mixte
Mots-clés :
CONTRATS ET OBLIGATIONS / Nullité-caducité
Sommaire :
Convention de financement d’arbitrage – contrat de nantissement de créances futures
La Société PROJET PILOTE GAROUBE, de droit belge, ayant vu son contrat d’affermage avec la République du Cameroun résilié par celle-ci en 2006, a saisi la cour d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale d’une demande d’arbitrage. Par deux sentences, de 2014 et 2016, la cour a accordé à GAROUBE le droit de solliciter dans la dernière phase de l’arbitrage la réparation de son préjudice.
GAROUBE a alors pris contact avec le groupe IVO, dont l’activité consiste à financer les frais d’avocats et de procédure dans un litige judiciaire ou arbitral, pour financer la suite de la procédure. En 2020, une convention de financement d’arbitrage a été signée entre CFS 37, filiale d’IVO, située aux Iles Caïmans, GAROUBE et Maître B, conseil de GAROUBE.
Cette convention prévoit un financement de 1.091.000 € par CFS 37 et la possibilité d’un deuxième financement de 590.000 €. CFS 37 ne devait être remboursée avec les rendements fixés par la convention que sous réserve que GAROUBE gagne sa procédure d’arbitrage et si les condamnations étaient effectivement recouvrées. Elle prévoit également une sûreté consistant en un nantissement de créances futures, afin d’assurer le paiement du financeur, et un contrat de nantissement sur les créances existantes ou futures que GAROUBE détiendra sur l’Etat du Cameroun est conclu dans ce sens.
En 2021, le tribunal arbitral a condamné l’Etat du Cameroun à la somme de 24 M€. Le recours en annulation de ce dernier a été rejeté en 2023.
Un désaccord est né entre le financeur et GAROUBE sur le versement de la seconde tranche de financement et sur la validité des conventions et GAROUBE a saisi le tribunal de céans.
Par un jugement du 30 janvier 2024, sur lequel il n’a pas été interjeté appel, le tribunal a dit que le droit applicable au litige relatif à la convention de financement d’arbitrage est le droit de l’Etat de NEW YORK et que le droit français est applicable sur le nantissement de créances futures. Il a rappelé que le droit de la procédure est le droit français.
Le tribunal a examiné successivement la nullité éventuelle de la convention de financement et celle de la convention de nantissement.
Sur la convention de financement
Les demandeurs soutiennent que le financement ne présentait aucun risque de non-remboursement, de sorte que, selon le droit de l’Etat de New York, il doit être requalifié de prêt soumis à la loi sur le taux d’usure américain. La convention de financement d’arbitrage présentant un taux usuraire supérieur à 25 %, elle doit être annulée. La convention serait également nulle en raison de la discordance entre les « term sheets » et la convention, du comportement déloyal du financeur qui a refusé de continuer à financer l’exécution de la sentence arbitrale et du blocage par ce dernier auprès de l’Etat du Cameroun empêchant le paiement des condamnations arbitrales.
Le tribunal relève que les demandeurs échouent à démontrer en quoi ces deux derniers griefs, s’ils étaient fondés, entraîneraient la nullité de la convention.
Sur la qualification de la convention, le tribunal relève qu’un financement sera considéré comme un investissement plutôt que comme un prêt s’il n’y a pas d’obligation absolue de rembourser le montant versé et que, selon le droit new yorkais, la loi sur l’usure ne s’applique qu’aux prêts comportant un droit au remboursement absolu et, en tout état de cause, ne s’applique pas aux investissements. Le tribunal, en l’espèce, constate qu’il n’existe aucune obligation de remboursement, si GAROUBE ne reçoit aucune indemnisation de l’Etat camerounais. Dans le cas où une indemnité est versée, il ne s’agit pas d’un remboursement mais d’un rendement.
Le tribunal retient que la convention de financement du 11 septembre 2020 n’est pas un prêt et ne relève pas des dispositions sur l’usure. Il déboute les demandeurs de leur demande de nullité.
Sur la convention de nantissement
Les demandeurs soutiennent que le nantissement des créances futures du 12 septembre 2020 est nul, car :
- la créance nantie est mal désignée et la dette garantie n’est pas du tout désignée,
- la convention ne respecte pas le formalisme imposé par l’article 2356 du code civil, qui impose une individualisation des créances nanties et des dettes garanties,
- et, de plus, le principe de proportionnalité n’a pas été respecté puisqu’elle prévoit un nantissement de 93.000.000 € en garantie d’une avance de fonds inférieure à 2.000.000 €.
Le tribunal relève, ainsi que le soulignent les demandeurs, que le contrat de nantissement et la convention de financement sont liés. La convention de financement précise, à son article 7.2, que le demandeur accorde au financeur une sûreté sur l’indemnisation sur le compte de produits de l’arbitrage et sur les montants qui y sont déposés actuellement, ultérieurement ou dérivés.
La convention de nantissement est en annexe de la convention de financement. Les créances issues de la sentence arbitrale entrent dans l’assiette du nantissement, et les créances sur lesquelles IVO fonde ses demandes entrent dans les créances garanties.
Le tribunal retient que les créances nanties et les créances garanties sont ainsi parfaitement identifiées. Sur la disproportion, il relève que ce qui est nanti n’est pas le montant de l’avance en capital mais la rémunération fixe et variable future ainsi que prévu à la convention de financement. La somme de 93.000.000 € avancée par les demandeurs n’est qu’une évaluation de leur préjudice et n’est pas mentionnée pour individualiser les dettes garanties.
Sur la notification du nantissement à l’Etat du Cameroun qui aurait provoqué le blocage des fonds, le tribunal relève que l’article 2-4 du contrat de nantissement stipule qu’en cas de survenance d’un cas de défaut le bénéficiaire est autorisé par le garant à remettre au débiteur une notification de réalisation et à recouvrer toute somme concernant les créances auprès du débiteur ou de tout tiers. Il constate qu’il y a bien eu « cas de défaut » car les demandeurs ont négocié avec l’Etat du Cameroun et obtenu 1,2 million d’euros à l’insu des défendeurs et en violation de la convention de financement. Cette notification de CFS37 à l’Etat du Cameroun ne peut être retenue comme cause de nullité de la convention de nantissement.
Le Tribunal déboute les demandeurs de leur demande de prononcer la nullité de la convention de nantissement du 12 septembre 2020.