POLIGON c/ ECORE BV et ECORE LUXEMBOURG RG 2023037504 - jugement du 22 mai 2025 (chambre 1-8)
Mots-clés :
COMPÉTENCE – Compétence territoriale
DISTRIBUTION ET FRANCHISE – Agent commercial/ commissionnaire
Sommaire :
Opposabilité à une autre société du groupe d’une clause attributive de juridiction figurant dans un contrat dont elle n’est pas signataire.
Contestation sur la qualification du contrat d’agent commercial – rupture du contrat – préavis de cessation du contrat - indemnité compensatrice de la rupture du contrat.
Le groupe Ecore, acteur majeur du marché du recyclage de matériaux en fin de vie, avait pour société de tête la société néerlandaise Ecore BV, qui détenait la société Ecore Luxembourg.
Poligon, société de droit turc, soutient être, en Turquie, l’agent commercial d’Ecore BV depuis 15 ans, en vertu d’un contrat signé le 2 juillet 2007, puis d’un nouveau contrat signé en juillet 2018 annulant le précédent.
En 2021, Ecore BV notifie à Poligon la résiliation du contrat avec effet en juillet 2022. Poligon sollicite, en conséquence, le versement d’une indemnité de résiliation et, faute de l’obtenir, elle assigne Ecore BV et Ecore Luxembourg et demande leur condamnation solidaire à lui verser :
- La somme de 113 312,25 US$ à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- Et celle de 906 498,12 US$ à titre d'indemnité compensatrice de préjudice causé par la rupture du contrat d'agent commercial.
Ecore soulève in limine litis l’incompétence territoriale du tribunal de commerce de Paris pour connaître des demandes formulées par Poligon à l’encontre d’Ecore Luxembourg, cette dernière étant étrangère aux contrats, qui lui sont inopposables, et dénie, au fond, le statut d’agent commercial revendiqué par Poligon.
Sur l’exception d’incompétence
Le tribunal rejette l’exception d’incompétence en rappelant que, en cas de pluralité de défendeurs, la clause attributive de compétence contractuelle liant l’un d’eux peut s’imposer à l’autre défendeur, à condition que les demandes à l’encontre de l’un et de l’autre soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a lieu de les instruire et juger en même temps, afin d’éviter la contradiction de jugement si les causes étaient jugées séparément. Dès lors, le contrat conclu par Ecore BV ayant, en fait, été exécuté par Ecore Luxembourg, qui recevait et livrait les commandes puis réglait les commissions, les demandes de condamnation solidaire à l’encontre des sociétés Ecore BV et Ecore Luxembourg ne peuvent être dissociées et le tribunal, compétent pour l’une, l’est pour l’autre.
Sur la qualification d’agent commercial
Sur le statut d’agent commercial, le tribunal rappelle que, selon la jurisprudence, l’application du statut d’agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l’activité est effectivement exercée.
Le tribunal constate, à l’examen des pièces produites aux débats par Poligon, que :
- Des ventes réalisées auprès de clients turcs mentionnent Pour et au nom de ECORE/GDE nous confirmons par la présente avoir vendu …), avec copies à des dirigeants du groupe Ecore, confirmant le fait qu’elle pouvait prendre des engagements au nom de ce Groupe,
- Poligon a apporté de nouveaux clients à Ecore, notamment l’un des plus grands acheteurs turcs, et a développé des opérations avec les clients existants,
- Si les prix étaient décidés par le groupe, c’était dans un contexte d’échanges, sur un WhatsApp dédié, avec des dirigeants d’Ecore, et Poligon discutait également les prix avec les clients.
Il s’ensuit donc que le contrat dont bénéficie la société Poligon est bien un contrat d’agent commercial.
Sur les indemnités réclamées
Le tribunal relève que le délai de préavis correspondant aux dispositions de l’article L.134-11 du code de commerce a été respecté par Ecore, qu’il n’y a donc lieu à indemnité compensatrice de préavis.
Sur la demande d'indemnité compensatrice de préjudice causé par la rupture du contrat, le tribunal dit que :
- La relation commerciale entre les parties a duré plus de 15 ans et qu’il est donc légitime d’accorder à Poligon une indemnité égale à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années ;
- L’indemnité de résiliation d’un agent commercial doit s’apprécier au regard du montant des commissions liées au volume d’affaires généré et qu’en l’espèce c’est bien Poligon qui a généré une moyenne annuelle de 453 249,06 US$ de commissions sur les trois années précédant la rupture du contrat, peu important que ces commissions lui aient été versées à elle directement ou à l’une de ses filiales.
Le tribunal, sur le fondement de l’article L134-12 du code de commerce, condamne solidairement Ecore BV et Ecore Luxembourg à verser à Poligon la somme de 906 498 US$.
Article L134-1 du code de commerce
L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale et s'immatricule, sur sa déclaration, au registre spécial des agents commerciaux.