LE CERCLE DES JUGES CONSULAIRES DE PARIS
1 quai de la Corse
75004 Paris
N°TVA :

SCI GEORGES c / SAS FRP II RG J2021000643 - jugement du 1er mars 2022 – 1ère chambre

Mots-clés :
RESPONSABILITE (HORS CONSTRUCTION) / Préjudice (évaluation)

Sommaire

Même si le droit d’agir en justice fait partie des libertés fondamentales, l’abus de ce droit, exercé dans le but de paralyser un concurrent potentiel, constitue une faute engageant la responsabilité civile de son auteur.

 

 

La SAS FRP II, ci-après FRP, est propriétaire depuis 2010/2012 d’un centre commercial en périphérie de Rennes.

En juin 2013, un projet de création d’un autre centre commercial à une dizaine de kilomètres, présenté par la SCI GEORGES, ci-après la SCI, est retenu par la métropole de Rennes et l’autorisation d’exploitation a été obtenue en février 2014.

 

FRP a alors introduit un recours contre l’autorisation d’exploitation, recours rejeté en juillet 2014, rejet confirmé par la cour administrative d’appel en juin 2015.

 

Par ailleurs, la SCI ayant obtenu un permis de construire en juillet 2015, FRP a introduit un recours devant la cour administrative d’appel, qui s’est déclarée incompétente au profit du tribunal administratif de Rennes. Le tribunal ayant jugé le recours irrecevable, FRP faisait appel, sans succès, devant la cour administrative d’appel de Nantes. Elle se pourvoyait alors, sans plus de succès devant le Conseil d’Etat, qui rejetait le pourvoi en décembre 2018.

 

En 2019, le projet devait finalement être abandonné, en raison du retard pris, les élus locaux et la métropole de Rennes ayant retiré leur soutien au projet et la plupart des enseignes commerciales qui devaient s’implanter s’étant retirées.

 

Considérant que l’abandon du projet avait pour cause le retard de cinq ans résultant des recours successifs de FRP, manifestement voués à l’échec, la SCI demandait que FRP fût condamnée à l’indemniser du préjudice qui en était résulté pour elle, chiffré à quelque 40 M€.

 

  1. Statuant sur la faute reprochée à FRP, le tribunal :

 

  • rappelle que « la faute est caractérisée, en matière de recours contre des permis de construire, lorsque le recours n’est pas inspiré par la volonté de faire respecter les règles d’urbanisme mais par la volonté de retarder la réalisation d’un projet ou lorsque des recours successifs sont présentés » sur le fondement de moyens qui ont été écartés lors d’une décision précédente, devenue définitive,

 

  • constate que les moyens présentés à l’appui de son recours contre le permis de construire devant la cour de Nantes en 2016 sont strictement identiques à ceux qui avaient été rejetés deux ans plus tôt, comme dépourvus de fondement et de sérieux, par cette même cour saisie du recours contre l’autorisation d’exploitation,

 

  • en conclut que « peut être qualifié de mauvaise foi le justiciable qui saisit la même juridiction de moyens identiques » à ceux « dont il a déjà été débouté par un arrêt devenu définitif »,

 

  • observe, de surcroît, que, lors de la saisine du tribunal administratif, FRP n’avait pas hésité à faire une fausse déclaration sur la proximité des deux centres commerciaux,

 

  • et relève, enfin, que FRP avait multiplié les comportements dilatoires en attendant toujours l’extrême limite des délais pour agir et en obligeant à plusieurs reprises à une réouverture des débats.

 

Le tribunal déduit de ce qui précède une particulière mauvaise foi de FRP, dont la seule motivation avait été de se protéger de la concurrence éventuelle d’un nouveau centre commercial, qu’elle ne pouvait ignorer que ses actions judiciaires étaient vouées à l’échec et qu’elle a ainsi « commis une faute en abusant de son droit d’agir ».

 

  1. En réponse à FRP qui soutenait que la SCI avait volontairement arrêté son projet, en raison de l’échec de la commercialisation et qu’il n’y avait aucun lien de causalité entre la faute ci-dessus et le préjudice allégué, le tribunal relève que, dans leurs déclarations, les élus locaux et Rennes-Métropole ont expressément expliqué que le retrait de leur soutien avait pour cause le retard pris en raison d’années de contentieux.

 

Le tribunal en conclut que « le recours abusif de FRP est la cause certaine et directe de l’allongement des délais… allongement ayant rendu inéluctable l’abandon du projet » et que FRP est donc tenue de réparer le préjudice en résultant pour la SCI.

 

  1. La SCI demandait à être indemnisée de toutes les sommes qu’elle avait inutilement engagées pendant cinq ans et surtout du gain manqué, gain fondé sur la plus-value qu’elle aurait pu réaliser en revendant le centre commercial après réalisation.

 

  • Sur le premier point, le tribunal rejette la demande relative aux dépenses engagées car la SCI avait reçu de Rennes-Métropole une indemnité de même montant et n’a donc, en réalité, subi aucun préjudice,

 

  • Sur le gain manqué, le tribunal retient le montant de la plus-value potentielle ressortant du rapport d’expertise produit par la SCI, soit 32 M€. Il considère, toutefois, que le préjudice subi est, en réalité, une perte de chance et qu’il n’y avait aucune certitude que cette plus-value eût été obtenue si la faute n’avait pas été commise. Il énumère les aléas possibles (opposition de la CCI au projet, celle d’associations écologiques et d’élus locaux, dérapage possible du coût des travaux, taux de remplissage inférieur aux attentes, etc…) et les prend en compte pour estimer la perte de chance, qu’il condamne FRP à réparer.
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